Introduction

Effet de mode ou changement profond de la pédagogie, la gamification s’invite de plus en plus dans les séances pédagogiques des enseignements généraux ou dans les CDI. Les « escape game » ou les « murder party » ne sont qu’un exemple de séances où les professeurs reprennent l’idée des jeux de rôles. A la fois motivant et facteur de complexité, la scénarisation d’une séance n’est pas nouveau en soi….les enseignement professionnels utilisent beaucoup  ce moyen pour faire travailler les élèves et rattacher un enseignement au concret du travail en entreprise. Mais finalement, la « murder party » est de plus en plus en lien avec le jeu, mais apprend-t-on vraiment lorsque l’on joue ? Que retiennent les élèves de ses séances ?

Depuis plusieurs années, j’expérimente les « murder party » en lycée que ce soit générale et technologique ou cette année, en lycée professionnel.

Dans un premier temps, les objectifs de ce type de séance et la co-intervention qui en découle sont des éléments importants. Puis, les modalités d’organisation de la « murder party » permettent de mieux comprendre l’indispensable travail en amont à réaliser. Enfin, à titre d’exemples, plusieurs scénarios seront évoqués en insistant tout particulièrement sur celui en lien avec la seconde guerre mondiale. En effet, il apparait au vu de l’expérimentation que c’est véritablement celui-ci qui a le mieux fonctionné pour tous les participants.

“Murder party” ou “escape game” ?

 Aussi, dans un premier temps, l’escape game apparait comme une évidence. Il est très à la mode depuis quelques années en France et de nombreuses salles s’installent un peu partout pour proposer toujours plus d’expériences immersives. De plus, le principe même de pouvoir s’échapper de la pièce apparait comme une évidence quand on sait que les élèves ne veulent pas venir au CDI car « ça sent le vieux livre ! il y a trop de livres ça me stresse ! On ne fait jamais rien d’intéressant au cdi ! j’aime pas lire. Les livres c’est nuls, je préfère mon téléphone portable etc… »

La murder party parait plus adaptée quand le CDI est devenu un lieu plus familier pour les élèves. En effet, il faut savoir se repérer dans le classement des llivres, faire des recherches en autonomie et avoir un certain esprit critique pour gérer l’ensemble du travail proposé. Dans le cadre d’une murder party, une personne est la victime et les élèves doivent trouver des indices qui les amènent au mobile, au coupable et dans le cas évoqué plus loin à sauver la personne victime. Ils sont donc enquêteurs et doivent faire le lien entre les différents indices pour découvrir l’ensemble des faits.

Le choix de la victime est intéressant…il faut quelqu’un qui soit proche d’eux pour provoquer une certaine motivation. En lycée générale, le choix s’est porté sur un professeur qui acceptait de jouer physiquement les victimes pendant que les élèves démêlaient l’histoire. C’était dans le cadre de MPS (Méthode et Pratique scientifique) et l’enquête était scientifique. Le professeur de physique chimie proposait des expériences à partir des indices relevés sur la scène du crime, le professeur de français faisait travailler les élèves sur des compte rendus des témoignages des personnes présentes. Des recherches documentaires étaient effectuées pour trouver des éléments de contexte.

En arrivant en lycée professionnel, la victime désignée fut…le chef d’établissement pour l’effet cathartique que cela représentait. Le scénario ne fonctionne pas toujours bien dans ce cas car certains élèves se refusent à « sauver » le proviseur. En effet, il ne fut pas tué mais empoisonné. Ainsi, il pouvait venir voir comment l’enquête se déroulait au CDI et continuer ses occupations sans « troubler » l’ambiance créée dans le CDI.

Les objectifs de la co-intervention

La collaboration avec les professeurs de disciplines a pour objectif de permettre aux élèves d’acquérir ou de réviser des connaissances et des compétences notamment liées à la lecture, la prise de note ou la rédaction de petite synthèse ou de réponses à des questions en fonction du niveau. L’intérêt est aussi de travailler sur les compétences de recherches documentaires, de lecture rapide et de vérification de la fiabilité des informations trouvées…

Cela s’inscrit aussi dans une démarche de coopération. En effet, pour motiver l’ensemble du groupe, les élèves ne peuvent trouver la solution qu’ensemble en se partageant le travail. Ainsi, ils développent des compétences sociales, d’entraide et de partage du travail en fonction des capacités des uns et des autres. Il s’agit aussi d’une tâche complexe puisqu’il faut que les élèves jonglent entre les attentes de la discipline, l’énigme à résoudre et les indices parsemés dans le CDI. C’est aussi d’une certaine complexité puisque généralement ils doivent « jongler » entre les recherches documentaires pour répondre aux question de la discipline et à l’histoire qui se déroule et dans laquelle ils sont acteurs et doivent faire avancer les éléments.

Les modalités d’organisation

L’organisation et la création de l’histoire sont des éléments importants pour réussir une murder party. En effet, le travail de groupe est privilégié pour deux raisons : faire travailler la coopération entre élèves et…réduire la masse de travail en amont.

Chaque groupe reçoit une enveloppe avec un indice qui l’amène au suivant. Les indices sont de façon linéaires : chaque indice en amène à un autre et les élèves suivent un parcours précis, défini par avance. Une autre possibilité est de travailler sans créer de lien entre les indices mais cela demande une mise en œuvre plus complexe.

Chaque groupe a une série d’indices différents qui amènent à un résultat commun. Il peut s’agir d’un puzzle à reconstituer, de documents de natures différentes à trouver qui amènent à la solution.

Ainsi, pour chaque séance, il faut prévoir des parcours différents avec un niveau de complexité équivalent afin de créer des groupes hétérogènes. Dans chaque parcours, il y a quatre à cinq indices en utilisant un moyen de cryptage. Les indices sont ensuite cachés dans les livres, les périodiques ou les différents espaces du CDI.

Une trame avec les cachettes, les indices est conservé afin d’aider les groupes ou de pallier à d’éventuels erreurs ou problèmes.

Il est prévu aussi des documents créés ou récupérés sur Internet pour donner des informations sur l’énigme.

De plus, un carnet est réalisé avec d’un côté les questions de cours et de l’autre des informations et des espaces pour noter les indices trouvés.

Enfin, les questions sont réalisées en coopération avec les enseignants de disciplines afin de répondre au mieux aux besoins du moment.

Présentation des séances

Deux des trois murder party présentés ici, ont des contenus disciplinaires différents mais une même histoire et se placent en début de séquence des enseignants de discipline.

 Les élèves remplissent un carnet de bord avec les réponses sur la mondialisation ou la France dans l’Union Européenne. Pour le professeur, c’est l’occasion de lancer le sujet d’étude, il s’agit donc d’une introduction. L’ensemble de ce qui va être étudié est survolé de manière rapide à travers des questions où les réponses se trouvent soit dans des livres présents au CDI où parfois il y a aussi des indices de la murder party ou sur des sites choisis et sélectionnés pour les questions les plus difficiles et au choix des élèves pour les autres. L’idée est de travailler sur la fiabilité des sources et la façon de valider une information sur quelques questions précises.

Le « débriefing de fin » est indispensable et tourne à la fois autour de la solution de l’énigme, du ressenti par rapport à la séance mais aussi du contenu des réponses et du moyen d’y arriver. Ce débriefing se fait en deux temps. Nous voyons avec les élèves à la fin de la murder party leur ressenti et les difficultés liées à la recherche.  Dans l’ensemble, les élèves adhérent à l’idée mais trouve particulièrement difficile de passer d’une question à un indice et inversement. Certains ne comprennent pas l’intérêt du travail coopératif et cachent volontairement les indices des autres groupes. Dans l’ensemble, cette forme de séance est très appréciée des élèves qui ne la considèrent pas vraiment comme une séance de travail.

Dans un second temps, dans le cadre du cours des collègues, ils revoient les informations en lien avec le sujet de la séquence dans le cadre d’une correction ou au fil du cours. Les élèves, avec l’aide du livret, participent plus en cours et font le lien entre la séance et le reste de la séquence dans ce second temps.

La seconde possibilité d’une murder party est en fin de séquence comme moyen de révision comme ce fut le cas pour la version présentée ci-dessous.

Le professeur de lettres histoire de la troisième prepa pro a souhaité une murder party pour s’assurer que les élèves avaient bien compris tous les enjeux liés à la seconde guerre mondiale et pour introduire la notion de résistance et de collaboration (régime de Vichy). Nous avons donc créé des questions sur la seconde guerre mondiale avec une carte, des qcm, des définitions à trouver et un texte à rédiger reprenant les différents éléments du travail. Les élèves ont eu deux heures par demi-groupe, deux heures non consécutives aussi il a fallu adapter le scénario à cette contrainte.

Nous avons fait le choix de mettre les élèves dans la peau de résistants découvrant que leur chef est menacé et qu’il existe un traitre dans la cellule de résistance. Leur chef direct est le professeur et leur supérieur hiérarchique est le proviseur de l’établissement qui prend directement ses ordres de Jean Moulin.

Dans la première heure, les élèves doivent trouver les fausses pièces d’identité pour Jean Moulin et le chef d’établissement qu’un résistant a caché au CDI en laissant des indices. Celui-ci n’est pas présent puisqu’il a dû fuir les ennemis. Les élèves par groupe répondent à des questions et lorsque la réponse est juste, ils récupèrent des côtes, des titres de livres où se trouvent des indices. Une fois qu’ils ont les indices, ils les notent dans leur carnet où il y a aussi les questions de cours et les réponses. Si les élèves trouvent les papiers d’identité et les donnent à leur professeur à la fin de la première heure, la mission est réussie. La deuxième est consacrée à ce moment là à trouver qui est le traitre. L’objectif n’a pas été atteint pour aucun des deux groupes. Aussi, lors de la seconde séance, les élèves apprennent que le proviseur a été arrêté, torturé et qu’il va être transféré prochainement au camps des Milles. Ils doivent trouver toujours le traitre mais aussi des documents permettant de faire évader leur chef.

Ils découvrent ainsi que la professeur documentaliste est le traitre grâce à une lettre manuscrite pour son mari qui lui a fourni les documents pour sauver le chef. L’intérêt est de montrer aux élèves que le choix d’être résistant ou collaborateur est aussi une question de circonstance et un choix. En effet, sa fille en danger, elle a donné un mélange d’informations vraies et fausses pour pouvoir récupérer son enfant. Ainsi, elle aide les élèves malgré son statut de « traitre ». Cet aspect fut très apprécié par le professeur come par les élèves qui ont ainsi mieux compris la complexité de cette période.

Les élèves découvrent deux possibilités d’évasion et doivent déduire la meilleure solution ensemble. Ainsi, des indications relativement subtiles permettent de choisir une solution plutôt qu’une autre.

Ces séances permettent un vrai travail de collaboration entre les élèves et avec les professeurs de disciplines. Cela permet aussi d’évoquer des notions en lien avec l’éducation morale et civique ou la philosophie. Pour la murder party sur la seconde guerre mondiale, le ressenti est extrêmement positif et ce malgré le fait qu’il n’y ait pas eu de rôle défini pour chacun des participants. Une tentative ultérieure lors d’un escape game montre que ce n’est pas forcément évident pour les élèves de jouer un rôle sans réelle préparation et cela rend d’autant plus complexe à monter la séance. Le groupe de résistant a fonctionné aussi car les adultes n’ont pas hésité à jouer à fond leur rôle et que les documents comme la lettre du traitre, la fausse carte d’identité ou les cartes de la région ont permis une immersion réelle.

Un autre point à évoquer est le fait que tous les scenarii créés ne laissaient que peu de place à l’imagination pour les élèves et c’est sans doute une limite. En créant un véritable jeu de rôle, en remettant les sciences pour d’éventuelles analyses chimiques : tout cela auraient sans doute apportés une certaine cohérence. L’avantage de la solution évoquée est que cela peut se faire dans un temps donné relativement court, avec peu de matériels et une équipe réduite d’adultes.

En conclusion, la murder party permet effectivement d’apprendre des connaissances académiques de façon superficielles et des compétences liés à la coopération, à la capacité d’adaptabilité d’un élève ou à son écoute, sa réflexion qui sont plus approfondies pour l’expérimentation faite cette année.


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