« Un mot pour tout dire domine et illumine nos études : comprendre.» (Marc Bloch). Cette citation est vraie pour l’Histoire mais je lui trouve aussi une réalité pour soi et pour les élèves allophones ou primo-arrivant. Ils ont à comprendre un monde qui les entoure, une langue, de nouveaux codes et de nouvelles règles qui différent parfois fondamentalement de ce qu’ils connaissaient. C’est d’abord et avant tout pour cela, pour répondre à un besoin existant que j’ai souhaité enseigner aux élèves allophones. C’est aussi parce que je pense sincèrement que l’enfant ou l’adolescent est un moment de la vie où il y a un champ des possibles immense et j’ai une forme d’espoir un peu idéaliste en ces jeunes. C’est réellement enthousiasmant de voir les progrès même les plus minces chez ces adolescents qui ont tout ou presque à apprendre sur une langue, le français, qui est à bien des égards, extraordinairement complexe.
Je suis professeur documentaliste depuis quatorze ans. Je travaille actuellement au lycée professionnel.
Il s’agit là de ma deuxième année au lycée professionnel. L’année dernière, une collègue certifiée travaillait avec les élèves allophones du lycée et les amenait au delf. Cette année, elle n’est plus dans l’établissement et elle m’a proposé pour la remplacer au chef d’établissement. Très peu d’élèves relèvent à proprement parler du FLE tel que défini dans les textes[1] car la plupart ont plus d’un an en France. Néanmoins, il reste trop de difficultés bloquantes pour ne pas mettre en place une aide d’autant que certains n’ont pu bénéficier d’un enseignement adapté auparavant dans une section d’UPE2A. J’ai deux heures par semaine de FLE.
Dans ce cadre, j’ai souhaité passer ma certification FLE en ayant particulièrement conscience de mes manques mais aussi d’une certaine expérience acquise sur le tas dans le cadre d’un établissement précédent.
Comment donner les moyens à tous les élèves allophones de comprendre le français pour réussir les études ?
Dans un premier temps, je vais parler de la structure d’UPE2A que j’ai vu fonctionner au collège, puis dans un deuxième temps, les pédagogies que j’ai pu voir ou mettre en place feront l’objet d’une rapide analyse.
Arrivée sur le poste de professeur documentaliste en septembre 2012 en même temps que la professeure de lettres en charge de l’UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants), nous sommes informées des pratiques antérieures par le chef d’établissement. Les élèves allophones sont au CDI sur toutes les heures de libres qu’ils ont et l’enseignante documentaliste travaille avec eux sur les compétences langagières : cela correspondait à 18 heures pour l’année de mon arrivée. Après discussion avec l’enseignante responsable, je propose de faire 7 heures mais de faire vraiment cours dans une matière qui apparaitra sous le nom de français culture et civilisation (FCC) pour différencier de la dénomination FLE en vigueur dans l’établissement. Nous avons ainsi formé un partenariat pour répondre aux besoins des élèves, des professeurs mais aussi gérer le flux important d’élèves dans la structure. Aussi, je me suis formée en assistant à des cours de la collègue mais aussi lors de stages organisés par le casnav [2]ou par le rectorat et bien entendu…au contact des élèves primo-arrivants.
J’ai effectué de nombreuses recherches sur les sites de fle (Français langue étrangère), dans les livres présents au CDI et réalisé des séances pendant 4 ans. Il me fallait être opérationnelle rapidement aussi j’ai privilégié le côté pratique au détriment de la théorie. Nous nous sommes aussi partagé les tâches en fonction de mes compétences. C’est ainsi notamment que je n’ai fait que très peu de phonétique par exemple et beaucoup d’aspects historiques ou géographiques puisqu’il s’agit de ma formation de base.
C’est aussi bien entendu ma collègue qui accueillait prioritairement les parents. Elle présentait l’établissement, les règles à respecter et éventuellement les droits des parents et le fonds social pour fournir un minimum de matériels aux élèves.
Nous avons ainsi travaillé en contact étroit pendant quatre ans permettant ainsi de proposer aux élèves deux ans de « fle » au lieu d’une. Cela a fait monter la structure à 40 élèves au maximum. Nous les avons inscrits chaque année au DELF. Cette expérience a été très intéressante, enthousiasmante et particulièrement motivante. Nous avons travaillé avec le chef d’établissement, le casnav, les intervenants. Ma collègue a proposé des cours aux adultes, travaillé dans des associations. Nous avons aidé des familles en détresse matériel, acquis des connaissances sur diverses cultures et pays. Tout ceci a été possible grâce à une équipe enseignante investies avec laquelle nous avons beaucoup communiqué.
La communication avec les professeurs est un point essentiel et fondamental dans notre métier au quotidien mais avec une importance toute particulière dans le cadre de la prise en charge d’élèves allophones. Au collège, nous faisions passer les évaluations en français et langue étrangère. Les professeurs de mathématiques prenaient en charge l’évaluation en mathématiques (correction et synthèse compris). Cette distinction permet à la fois d’évaluer plus rapidement beaucoup d’élèves mais aussi d’impliquer les professeurs de mathématiques. En effet, dans le cadre de l’inclusion scolaire, les élèves nouvellement arrivés étaient mis en cours de mathématiques, eps, arts plastiques, musique au minimum. Les professeurs faisaient passer l’évaluation pendant leurs cours et voyaient rapidement le niveau. Un premier lien se faisaient avec les enseignants de disciplines. De plus, la communication des résultats des évaluations permet aux enseignants d’adapter les cours. Par la suite, le fait de communiquer sur les progrès ou les difficultés des élèves améliorent la capacité des enseignants à gérer les difficultés.
De plus, nous échangeons sur les moyens d’évaluer les élèves allophones, d’adapter ou de préparer en amont les contrôles, de répondre aux inquiétudes sur le niveau de compréhension des uns ou des autres. Ce travail de communication est une part essentielle de l’enseignant de français langue seconde et favorise la réussite des élèves même si cela se révèle extrêmement chronophage.
Nous avons aussi beaucoup échangé avec le chef d’établissement et son adjoint notamment dans le cadre de la mise en place des emplois du temps. Dans une structure d’upe2a, les élèves doivent avoir un minimum de 9 à 12 heures par semaine. L’emploi du temps est une collaboration avec le chef d’établissement ou l’adjoint, la personne qui gère les emplois du temps. Ainsi, les élèves ont un emploi du temps adaptés à leur niveau et visible pour les parents et les enseignants. Lorsqu’il s’améliore, des matières sont ajoutées, c’est du moins ainsi que cela se faisait dans le collège où j’ai travaillé. Cette gestion était contraignante mais permettait d’adapter de façon plus fine aux besoins des élèves.
Le delf (diplôme d’études en langue française) scolaire répond aux exigences du CECRL (cadre européen commun de référence pour les langues) et propose 3 niveaux : A1, A2 et B1. Les élèves passent 4 épreuves : compréhension écrite, production écrite, compréhension orale et production orale. Cet examen a généralement lieu en mai et trois parties se font ensemble et la partie production orale fait l’objet d’un entretien individuel.
Après avoir vu les aspects extérieurs, nous allons maintenant nous intéresser à la pédagogie avec les élèves dans le cadre du cours de Français Langue étrangère.
Les premières séances sont très importantes. A cette occasion, nous mettons en place les bases du vocabulaire mais aussi de la confiance qui doit se créer entre nous enseignants et les élèves étrangers. Cela passe par une reconnaissance de leurs niveaux mais aussi par une prise en compte de leur langue d’origine et de leur culture. De fait, lors des premières séances, ils apprennent à se présenter, indique leur pays d’origine et le montre sur une carte. Cela permet de voir les horizons divers qu’il y a dans le groupe avec parfois des tensions entre ressortissants de différentes régions du monde. Je travaille aussi sur les bases de ce dont ils peuvent avoir besoin en cours et dans le quotidien. Parfois, nous utilisons leurs langues ou des discussions entre eux pour atteindre des objectifs linguistiques précis. Enfin, un temps est consacré dès les premières séances à de la phonologie et des exercices. Ce fut généralement ma collègue de FLE qui s’en occupa même si j’ai régulièrement poursuivi pendant mes séances le travail débuté notamment en phonologie.
Mettre en place une pédagogie différenciée pour les élèves allophones permet de gérer l’hétérogénéité très importante qu’il y a dans une structure d’UPE2A. Nous pouvons par exemple avoir un même contenu mais avec des supports différents. C’est par exemple le cas d’une séance où un même conte est proposé pour trois niveaux avec une simplification du texte et des questions en référence à ce texte (cf légende de saint Nicolas en a1, a2 et b1 sur le modèle du conte burkinabé). Les élèves ont un cadre similaire mais ils travaillent en fonction de leur niveau de langue. Il s’agit là de répondre à l’hétérogénéité d’un groupe en leur permettant à tous d’accéder au maximum possible dans le temps donné. Cette méthode est souvent utilisée car les élèves arrivent généralement tout au long de l’année dans la classe d’upe2a avec des niveaux de langues différents.
Voici une proposition de séquences d’une durée de trois heures réalisées au mois de décembre. Il s’agit là de présenter un fait culturel pour donner suite à un travail sur les contes. Dans le cas de la légende de saint Nicolas[3], le récit est proposé pour le niveau B1 dans une version d’origine avec une utilisation du passé simple et de l’imparfait. L’histoire est relativement simple. Dans un premier temps, un exercice de compréhension orale est proposé avec des questions de compréhension. Puis dans un second temps, le texte est donné avec des exercices de compréhension écrite, de la conjugaison et de la grammaire. Puis, les élèves effectuent des recherches sur saint Nicolas avant de proposer une légende de leur pays à l’oral. Enfin, une production écrite est proposée avec deux sujets au choix.
Pour le niveau A 2, le texte est simplifié et au présent. Les élèves ont des mots et des définitions à relier. J’indique le site pour la recherche sur saint Nicolas et ils doivent effectuer une synthèse en quelques lignes avec possibilité de reprendre les mots du site.
Pour le niveau A 1, j’ajoute des dessins correspondant aux mots et le texte est très simplifié. Les élèves répondent à de la compréhension écrite par qcm (questions choix multiples). La production écrite consiste à remettre les mots d’une phrase dans le bon ordre.
A l’analyse de cette séance, beaucoup de questions ont été soulevées et notamment autour du mot « évêque », qui amène à expliquer les différents grades dans la religion catholique. Cela peut se révéler parfois un peu explosif car le sujet de la religion l’est souvent. Toutefois, le choix de cette légende s’explique du fait d’une conversation sur les différentes régions de France et leurs spécificités. Venant de Lorraine, les élèves m’ont demandé s’il existait une légende typique du lieu : saint Nicolas et les trois petits enfants m’a semblé un choix cohérent surtout début décembre. L’autre point critique de cette séance est la gestion du niveau des élèves. Le travail a parfois demandé beaucoup de travail et entrainé une certaine difficulté pour des élèves dont le choix de niveau s’est révélé peu opportun. Il a fallu une quatrième heure pour finir la partie écrite et une heure de plus pour finir la présentation des légendes à l’oral. Par contre, cela montre aussi des légendes d’autres pays comme la Befana italienne…
Une autre solution est de créer des groupes de travail au sein des élèves et de leur faire travailler sur des objectifs différents. J’ai parfois expérimenté cette solution notamment lorsqu’il y avait des « commandes » d’enseignants de disciplines différents. En effet, lors d’échanges avec les enseignants de disciplines, des problématiques liés à leurs cours sont mis à jour (problème de vocabulaire ou de compréhension de consignes par exemple). Aussi, les élèves concernés font l’objet d’un travail spécifique afin de répondre aux problématiques posées et d’aider ces élèves à un moment précis de leur cursus scolaire. Il s’agit parfois aussi de percevoir que certains ont besoin de retravailler une notion et que les autres peuvent avancer dans leurs apprentissages.
D’autre part, nous avons aussi travailler sur un kamishibai reprenant le concept du Loup qui voulait faire le tour du monde. Les élèves ont créé de façon commune une histoire et réalisés les dessins correspondant à chacun de leurs pays. Ce travail collaboratif a permis de revoir des structures de phrases, de la conjugaison mais aussi d’apporter des informations sur les pays et les représentations qu’avaient le groupe sur chacun des pays des élèves. Cette réalisation a permis un travail sur les compétences (production écrite, production orale, compréhension écrite et compréhension orale) et amélioré l’entraide dans le groupe amenant ainsi l’acquisition de compétences sociales (respect, entraide). Le travail a fait l’objet de lecture pour des élèves de langue française pour expliquer au reste du groupe le développement des compétences.
Enfin, ma collègue et moi utilisions aussi des exercices à partir de différents manuels (phonologie, orthographe, grammaire), de sites et notamment le manuel « entrée en matière. Celui-ci a l’avantage de proposer des encarts réservés aux disciplines, d’avoir des dialogues adaptés au niveau collège et de proposer des éléments culturels et un système de « village » pour travailler des compétences culturelles. Une des limites de cet ouvrage est le fait qu’il propose peu d’exercices et peut être compléter notamment lorsque l’on veut faire travailler des élèves sur des consignes plus précises.
J’ai pu tester une variété de pédagogies et pu
aussi assister à d’autres solutions mises en place par mes collègues certifiées
en FLE. Ainsi, j’ai pu voir les limites et les avantages des différentes formes
de pédagogies. La reconnaissance de la langue d’origine, du travail et de
l’effort des primo-arrivants me semblent un levier essentiel pour leur réussite
scolaire et dans les apprentissages. Le travail de groupe, l’oral et la
concertation avec les enseignants des autres disciplines se coordonnent pour
donner du sens aux apprentissages. C’est un travail d’équipe qui nécessite une
communication importante.
[1] « Sauf situation particulière, la durée de scolarité d’un élève dans un tel regroupement pédagogique ne doit pas excéder l’équivalent d’une année scolaire. » BO n°37 du 11 octobre 2012 sur la scolarisation des élèves allophones.
[2] centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV)
[3] https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10356300/fr/etudier-un-fait-culturel-avec-les-eleves-allophones. Partage d’une séance sur le site des professeurs documentalistes
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